Jacquette de Montbron
Jacquette de Montbron Jacquette de Montbron naquit en 1542, et mourut le 28 juin 1598 au château d'Archiac. Elle était la fille de François III de Montbron et de Jeanne de Montpezat.
Elle épousa par contrat le 27 juin 1558 André de Bourdeille, Baron de la Tour Blanche, Pannetier ordinaire du Roi. Il avait presque 40 ans et elle à peine 16.
Ils eurent six enfants dont quatre filles : Jeanne, Renée, Isabeau et Adrienne, et deux garçons : Henri et Claude. Jacquette de Montbron demeura seule héritière de son frère aîné, René de Montbron, Baron d'Archiac, tué à la bataille de Gravelines, et fut la dernière représentante de la branche aînée de la Maison de Montbron, propriétaire du château de Matha.
André de Bourdeille, mari de Jacquette, était aussi capitaine de cinquante hommes d'armes, Sénéchal du Périgord et Lieutenant - Général des armées du Roi. En janvier 1582, sous le règne de Henri III, à l'âge de soixante-trois ans, il mourut au château de Bourdeilles des suites d'une chute de cheval survenue six ans auparavant.
Son épouse Jacquette, qui lui était passionnément attachée, fit embaumer son corps qu'elle conserva pieusement pendant plus de six mois. Au mois d'août suivant seulement, elle ordonna ses funérailles « avec beaucoup de magnificence ». Pierre de Bourdeille, frère du baron de Bourdeille, chevalier, seigneur et abbé commandataire de l'abbaye de Brantôme, seigneur de la Chapelle-Montmoreau et de Saint-Crépin, baron de Richemont et gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, s'honora dans la carrière des armes et sut s'attacher tout particulièrement à Charles IX et à sa mère, Catherine de Médicis.
Après avoir essuyé la déconvenue de ne pas recevoir le titre de Sénéchal du Périgord à la mort de son frère, il eut aussi un accident de cheval qui changea le cours de sa vie. Il dut garder le lit et la chambre pendant quatre ans environ, et c'est au cours de cette retraite forcée dans son château de Richemont qu'il entreprit de rédiger ses mémoires, lesquelles l'ont immortalisé sous le nom de Brantôme. Ces mémoires brillants et lestes nous livrent une foule de renseignements sur les personnages et la vie de son temps. Brantôme vouait à sa belle-sœur, Jacquette de Montbron, une tendresse et une admiration sans réserve. C'est grâce à ses écrits que nous pouvons connaître les multiples facettes de cette personnalité aussi riche.
Jacquette de Montbron, une belle femme à la cour de Fontainebleau
Veuve jeune encore, réputée être la plus belle femme de Guyenne, d'après Brantôme, Jacquette fut, après son deuil, plusieurs fois demandée en mariage par de riches et puissants seigneurs. Toujours elle refusa. Aussi longtemps qu'elle vécut, jamais elle ne voulut envisager l'éventualité d'un remariage « tant elle portait de révérence aux cendres de son feu mari, et à ses petits enfants mineurs, lesquels lui doivent une obligation immortelle ».
Catherine de Médicis la nomma, en 1587, l'une de ses dames ordinaires, ou dame du palais. « Elle vesquit en sa cour, avec une « belle et illustre réputation, non qu'elle s'y voulut par trop assiduer ny assubjectir, desirant plus estre ver sa belle et noble famille que sejourner à la Cour, comme tant d'autres font ».
Après la mort de la Reine-mère, Jacquette eut la même charge auprès de la reine Louise de Lorraine, femme de Henri III. Devenue veuve lors de l’assassinat du roi par Jacques Clément, la Reine se retira à Chenonceau puis à Moulins, et Jacquette revint habiter le château de Bourdeilles. Quarante jours après la mort de Jacquette de Montbron, Brantôme écrivait aussi : « Dame de Bourdeille, elle fut en son vivant une dame très accomplie et de corps et d'âme. Du corps, ce fut une des plus belles dames de la France, ainsi jugée par les grands et les grandes à la Cour et en tous les lieux où elle a comparu : son visage très beau, rempli de tous les beaux traits de la face et des yeux que peut loger une beauté, sa grâce, sa façon, son apparence, sa riche et haute taille, et surtout sa belle majesté, si que partout on l'eut prise pour une reine ou grande princesse.
Aussi était-elle extraite de si haut lieu qu'elle en pouvait bien tenir, laquelle, à cause de la fille de la Marche mariée en sa maison, comme j'ai dit, avait cet honneur d' appartenir à ceux d'Orléans, d'Angoulême, de Bourbon. Aussi feu Antoine de Bourbon, roi de Navarre, se contentait bien de l'appeler sa cousine; le roi d'aujourd'hui (Henri IV) et Madame sa soeur en ont fait de même ... Bref, la grâce et la majesté paraissaient en cette dame de toutes façons. Aussi la reine mère dernière (Catherine de Médicis), pour mieux embellir sa Cour, la prit à son service pour l'une de ses dames, et la chérit très fort. Elle vécut en sa Cour
Au cours des guerres de religion, Jacquette de Montbron, alors veuve, eut l'occasion de donner la mesure de son courage et de son esprit de détermination : Le Prince de Condé, l'un des chefs du parti huguenot, se trouvant alors à Saint-Jean-d'Angély, fit demander à Jacquette de lui livrer quelques personnes réfugiées auprès d'elle dans son château de Matha. Jacquette refusa, alléguant que jamais elle ne livrerait ou trahirait « ces pauvres gens qui s'étaient allé couvrir et sauver sous sa foi ». Les instances du prince restèrent vaines, et lorsqu'il la menaça de lui apprendre à obéir si elle ne s'exécutait pas, Jacquette lui fit dire qu'elle trouvait fort étrange qu'un prince qui ne savait pas obéir à son roi se mêlât de faire obéir les autres. Elle ne perdit pas un instant, mit son château en état de défense, ne redoutant ni Condé ni le siège éventuel de son château de Matha. Elle fit savoir au prince qu'elle était prête à se défendre avec tant d'ardeur que jamais il ne l'emporterait, et Condé cessa ses menaces pendant quelques jours.
Brantôme écrit que Jacquette s'était préparée « de cœur, de résolution, d'hommes et de tout, pour le bien recevoir, et crois qu'il y eut reçu de la honte ». Sur ces entrefaits, Condé mourut, vraisemblablement empoisonné, en mars 1588, à Saint-Jean-d'Angély, sans avoir pu mettre ses menaces a exécution.
Jacquette de Montbron, une femme riche de tous les dons
Pour Brantôme, Jacquette de Montbron fut une héroïne incomparable, riche de tous les dons, de toutes les vertus. il nous vante son courage, sa beauté, son intelligence, ses qualités de coeur, ainsi que la beauté et la valeur de ses enfants, avec une constance jamais démentie : « Elle fut très belle en son printemps, très belle en son été, très belle en son automne; si de son temps les chevaliers errants eussent eu vogue, elle eut bien fait reluire plus leurs armes que n'avait fait jamais sa prédéceresse Frédégonde de Montbron, pour l'avoir à femme. Avant qu'elle tombât en sa maladie, qui lui a duré et tenu sept mois jusqu'à son décès, elle paraissait aussi jeune et belle comme en son été, bien qu'elle soit morte en l'âge de cinquante-six ans. Et il ne faut point douter que, si elle eût vécu encore dix ans, sa beauté ne s'en fût nullement effacée, tant elle était de bonne et belle habitude, et prédestinée à toute beauté qu'elle a laissée à messieurs ses enfants et surtout à mesdames et damoiselles ses filles. ... Pour messieurs ses enfants, leurs belles armes, qu'ils ont fait valoir jusqu'ici en leur jeune âge, font bien paraître ce qu'ils sont et seront un jour : la vraie semblance et imitation de leurs pères, grands-pères, aïeux, bisaïeux et leurs antiques prédécesseurs, tant du côté du père que de la mère, si qu'ils se peuvent dire et vanter extraits, de l'un et de l'autre côté, de deux aussi grandes maisons qu'il y en ait en France ».
Jacquette de Montbron eut la douleur de perdre sa fille Renée, qui, déjà veuve, mourut avant 1597. D'après Brantôme : « la mélancolie qu'elle conçut de cette honête fille l'emporta dans les dix-huit mois ». En effet, Jacquette devait mourir le 28 juin 1598. Dès les premiers symptômes de sa maladie, Jacquette se dit perdue, tout en conservant une grande sérénité devant les approches de la mort, demandant seulement à Dieu de lui accorder patience en son mal, de lui donner une mort douce et paisible. Il semblerait qu'elle fut exaucée, car, rendant l'âme, elle parut seulement évanouie : « Elle resta morte aussi belle qu'elle l'avait été vivante en sa perfection ».
Jacquette de Montbron, une femme de lettres
De nouveau, Brantôme se plait à peindre la beauté de l'âme et de 1' esprit de sa belle-soeur : « ... qui l'a connue jugera avoir été une des accomplies de France. Elle était sage et fort vertueuse, et surtout très bonne, aimant fort son peuple, et jamais ne le foula, ainsi soulagea toujours. il le peut bien témoigner. Elle avait l'esprit fort bon et subtil, et le jugement surtout ferme et solide, qui ne se rencontre pas toujours en un même sujet. Elle parlait fort bien, et avec de très beaux termes et de toutes choses, soit de théologie et d'histoire. Elle écrivait très bien et fort éloquemment. Plusieurs lettres qui se trouvent d' elle, écrites aux plus grands et grandes, aux moyens et moyennes, communs et communes personnes en font foi, quelque sujet qu'elles traitent, soit guerres, affaires et de toutes sciences, bref de toutes choses, car elle n'ignorait rien; et son entretien était très beau, et toujours plein de beaux discours et paroles ». C'est là le portrait non seulement d'une femme de grande valeur morale, mais aussi celui d'un bel esprit ouvert à toutes les richesses de la Renaissance.
Outre Brantôme que nous pourrions soupçonner de partialité, des hommes éminents de son siècle rendirent hommage, non seulement à la beauté de Jacquette de Montbron, mais aussi à ses dons et à son savoir. Si la production littéraire de Jacquette est oubliée de nos jours, Brantôme insiste sur ses dons de femme de lettres.
Jacquette de Montbron, architecte et sculpteur
A ces talents et à cette culture, il nous faut ajouter un aspect inattendu et combien frappant de cette personnalité si riche : Jacquette de Montbron fut sans doute dans notre pays la première femme à la fois architecte et sculpteur. Après la mort de son mari en 1582, Jacquette de Montbron entreprit, à côté du vieux château féodal de Bourdeilles, sans l'aide d'aucun architecte, concevant elle-même tous les plans, la construction d'un château Renaissance, dont une aile seulement fut édifiée. On attribue à son ciseau quelques-unes des sculptures de la façade de ce très bel édifice, que l'on appelle aujourd'hui le Château Neuf. Ses descendants devaient achever l'agencement du château si harmonieusement conçu par Jacquette.
Jacquette de Montbron, architecte des tours Renaissance du château de Matha ?
Le château de Matha, édifié entre 1582 et 1587, après la mort d’André de Bourdeille et avant son séjour à la cour, trahit l'influence des traités d'architecture tels que celui de Sebastiano Serlio, architecte consulté par François I er pour le château de Fontainebleau, puis architecte en chef de la cour et auteur de traités d’architectures considérés comme les bases des constructions de la Renaissance . Il ne fait aucun doute que Jacquette de Montbron, fine lettrée, humaniste, connaissait ces écrits et textes qui ont connu un succès et une vulgarisation immense en France à la Renaissance. Ils l’influencèrent certainement. Cependant, les idées serliennes sont récupérées, simplifiées et adaptées à une structure traditionnelle. Il n’y a pas une réelle conception de l’espace, mais un goût pour l’aménagement des façades et un décor à l’italienne. L’horizontalité et l’alternance fenêtre- niches rappellent en effet les élévations proposées dans le Quarto Libro, ainsi que les architectures florentines sobres et rythmées de Michel Ange dont la bibliothèque laurentienne (1524-1534) et même le palais des Bartolini- Salimbeni (1519-1523) à Florence, où l’alternance agrémente le premier étage.
N’ayant jamais visité l’Italie, Jacquette de Montbron ne pouvait connaître ces architectures que par le biais des gravures précédemment mentionnées. Mais aussi, le château de Matha perpétue la tradition de l’architecture française. La robustesse du pavillon, la hauteur des toitures, la verticalité des façades et la présence du chemin de ronde renvoient en effet à l’imagerie du château français toujours appréciée des commanditaires dans les années 1560-1580 pour son aspect massif, défensif et de ce fait dissuasif.
Jacquette architecte de Matha ? Il convient d'être prudent sur les termes employés : conseillère, administratrice du chantier de Matha, oui certainement, mais architecte peut-être pas. Cependant il est tentant de le penser et au vue de toutes ces informations, il serait presque impossible de ne pas y croire.
Jacquette de Montbron gestionnaire de l’héritage familial
Les connaissances étendues que possédait Jacquette, dans un siècle où les dames restaient le plus souvent étrangères aux belles-lettres, ne l'empêchaient pas de se consacrer à l'éducation de ses enfants; elle s'employa avec sagesse et fermeté à reconstituer le patrimoine familial, pour couvrir les dépenses considérables que faisait son mari pour le service du Roi. La fortune personnelle d'André de Bourdeille avait été diminuée par la rançon qu'il avait acquittée en 1556, et par les frais de représentation qu'entraînait l'état de sénéchal et gouverneur de Périgord. Brantôme dit que son frère André mourut fort pauvre au service du Roy. Il ne l'aimait pas, et il n'a pas craint de l'accuser dans son testament d'avoir été mauvais messager et même un peu joueur ; mais le mérite d'André l'oblige cependant à lui rendre la justice de dire qu'il était homme de bien, d'honneur, de valeur, et fort splendide et magnifique.
Sur Jacquette, Brantôme écrit : elle fut « une grande et sage économe, comme elle a fait paraître; car son mari la laissa endettée de deux cent mille francs, à cause des dettes qu'il avait faites pour le service du roi. Elle est morte désendettée quasi de tout, ayant laissé à ses enfants de quoi à se désendetter du reste, qui est peu ».
Jacquette de Montbron semble incarner à la perfection l'idéal de l'être complet recherché à la Renaissance.